Guerres puniques

MasqueLES GUERRES PUNIQUES
par Marie-France Antier, agrégée de Lettres Classiques.

Site d'origine : http://www.philagora.net/mar-nos/puniques.htm

Pourquoi les guerres puniques ? Le contrôle de la méditerranée.

Romain

Bien qu'il y ait eu, au cours du Vème et du IVème siècle avant J.C., un grand nombre de conflits qu'on serait en droit de qualifier de "puniques", puisqu'ils opposaient les Carthaginois au monde grec occidental, il convient de préciser que l'on réserve ce nom de "Guerres Puniques" aux trois guerres successives qui, de 264 à 146 avant J.C., virent s'affronter Rome et Carthage.

Pour comprendre les raisons profondes de ce conflit, et avant d'en décrire les différentes phases, il n'est pas inutile de se rapporter à la fin du VIème siècle av.J.C. et d'évoquer les quatre grandes puissances méditerranéennes qui se disputent l'hégémonie sur la mer Tyrrhénienne.

- Il y a d'abord les Etrusques. Ce peuple de marins, arrivé dans ce pays vers les XIème, Xème siècles av. J.C. fut le premier à dominer cette mer à laquelle il a laissé son nom.
- Puis, au VIème sièle, entrent en lice les Grecs de Marseille et leurs compatriotes, les Phocéens, qui fondent en Corse la colonie d'Aléria.
- A peu près à la même époque, les Carthaginois,, peuple de marins, eux aussi, et grands commerçants, ont assuré leur présence dans le sud de l'Espagne, aux Baléares, en Sardaigne, en Corse et en Sicile.
- Il y a enfin la colonie de Doriens installée en Sicile : Syracuse, qui revendique la direction de l'hellénisme occidental.

De ces quatre puissances, celle de Marseille disparaît la première, après la bataille d'Alalia (540 av. J.C.), qui voit l'effondrement de la thalassocratie phocéenne. Puis, c'est le tour de l'Etrurie, qui, après un long déclin, perd définitivement l'empire de la mer (bataille de Cumes, 474 av. J.C.).

Restent donc en présence Carthage et Syracuse, qui vont s'affronter pendant deux siècles. Il serait trop long de décrire les jeux subtils d'alliance, ainsi que l'alternance de succès et de revers qui ponctuent leur rivalité à la fois politique et économique. C'est finalement Carthage qui, au IIIème siècle, reste victorieuse et semble s'être acquis un monopole politique, maritime et économique sur la mer Tyrrhénienne.

C'est à ce moment-là, que Rome, qui vient, par la prise de Tarente (272 av. J.C.) et sa victoire sur le roi d'Epire, Pyrrhus, de réaliser l'unité de la péninsule italique, entre en scène. Certes, au cours du IVème siècle, Rome%20et%20Carthage avaient conclu des traités d'amitié et de commerce d'abord, limitant leurs sphères d'influence réciproques. Puis, des accords politiques avaient été passés, doublés, lors de la guerre contre Pyrrhus et Tarente, d'une convention militaire : Aux clauses du traité de 306, qui réservait à Rome les côtes italiennes, à Carthage celles de la Sicile, s'ajoutaient des engagements d'aide mutuelle face à la menace de Pyrrhus.

Médaille

L'achèvement de l'unité italienne par Rome n'en demeure pas moins une menace permanente pour Carthage, son hégémonie dans la mer Tyrrhénienne et la sécurité de ses possessions en Sicile.
Quant à Rome, il devient évident que le contrôle du détroit de Messine revêt une importance stratégique essentielle.
Bref, on peut dire que les domaines des deux cités sont devenus trop proches pour qu'une rivalité ne surgisse pas.

PREMIERE GUERRE PUNIQUE (265-241)

Le motif du conflit : Messine et les mamertins.

Les Mamertins, anciens mercenaires campaniens installés à Messine, voyant devant eux une coalition de Grecs et de Puniques, ne trouvent pas d'autre solution que d'appeler Rome à leur secours.
Citons Polybe :

"Les Romains pensaient que si les Carthaginois s'emparaient encore de la Sicile, il était à craindre qu'ils ne fussent des voisins bien gênants et bien redoutables, qui les encercleraient et menaceraient toute la côte d'Italie. Or il était évident qu'ils auraient vite fait de soumettre la Sicile, si l'on ne portait secours aux Mamertins, car, Messine leur étant livrée, il ne leur faudrait pas longtemps pour enlever Syracuse, leur domination étant déjà établie sur presque toute la Sicile. C'est ce qu'on prévoyait à Rome, où on trouvait de toute nécessité de ne pas abandonner Messine et de ne pas laisser les Carthaginois se faire comme un pont pour passer en Italie". (Pol. I, 10, 5-10).

Or, s'il a sur Rome une supériorité maritime certaine, l'empire carthaginois n'a pas la solidité de la confédération romano-italique. Les villes qui le composent sont soumises à une dure sujétion et ne combattront que mollement, quand elles ne trahiront pas. Quant aux Africains de l'arrière-pays, il haïssent leurs maîtres puniques. De plus, leur armée est formée dans sa majeure partie de mercenaires, qui coûtent cher et dont la fidélité laisse plus à désirer. Rome, au contraire, dispose d'une armée de citoyens assurant le nombre - renforcé par les levées de troupes dans les cités fédérées, qui lui resteront fidèles - , et dont la valeur procède d'un ardent patriotisme.

Les grandes phases de la guerre.

- 1ère période - 264-261 : Les Romains, qui ne s'intéressent d'abord qu'à Messine, s'allient avec le roi de Syracuse, Hiéron, mais Carthage ne cède pas, et l'alternance de succès et de revers incite Rome à se doter d'une flotte pour ravir à Carhage la maîtrise de la mer.

- 2ème période - 260-255 : Au cours de l'hiver 261-260, Rome construit 100 quinquérèmes (sur le modèle, dit la légende, d'un navire capturé aux ennemis) et 20 trirèmes. Les équipages sont recrutés essentiellement parmi les alliés méridionaux.
Le consul C. Duilius prit le commandement de la flotte, qui surprit l'adversaire par la méthode utilisée (grappins-corvi- pour fixer l'ennemi et passerelles pour l'abordage), cherchant à reconstituer des combats d'infanterie. En 260, il remporte à Myles, la première grande victoire navale ( 45 navires ennemis mis hors de combat).
Rome forme alors le projet de débarquer en Afrique, ce qu'elle fait après la deuxième grande victoire navale, à Ecnome en 256. C'est le consul M. Atilius Regulus qui débarque au Cap Bon à la tête de 15.000 hommes environ.
Défaite des Romains en 255. Regulus est fait prisonnier, la flotte rembarque les rescapés, remporte une nouvelle victoire, mais est détruite par la tempête.

Les deux adversaires sont rudement touchés!

3ème période (254-248) : Phase difficile pour Rome, qui n'arrive pas à s'emparer des bases carthaginoises de l'ouest de la Sicile. Ater annus, que l'année 249, avec le désastre naval de Drépane (impiété du consul P. Claudius Pulcher). Rome est au bord de la défaite, mais les Carthaginois ne savent pas exploiter la situation, peut-être faute d'une armée suffisante, mais surtout par manque d'esprit d'offensive. Leur politique militaire est trop axée sur leurs seuls intérêts commerciaux. Rome, comprenant la situation, se mobilise pour un effort désespéré.

Dernière période (247-241) : Ultime effort des Romains contre Hamilcar Barca qui les harcèle en Sicile, mais ne reçoit pas assez de renforts. Les Romains renouvellent leur pacte d'alliance avec Hiéron II, reconstituent une flotte, grâce à un emprunt forcé sur les plus riches citoyens, et voient leurs efforts couronnés de succès par la victoire navale du consul C. Lutatius Catulus, aux îles Egates, en 241.

Les conséquences : Un premier traité de paix est signé entre Carthage et le consul Lutatius, qui notifie la perte de la Sicile et fixe l'indemnité de guerre. Mais, lors d'un referedum aux Comices, le peuple en refuse la ratification et fixe des conditions plus sévères aux Carthaginois : augmentation de l'indemnité de guerre, abrégement de son délai de règlement. Abandon, en plus de la Sicile, des îles situées entre la Sicile et l'Italie, c'est à dire les île Eoliennes (Lipari).

La Sicile devient la première province romaine. (à l'exception de Syracuse)

L'INTERVALLE ENTRE LES DEUX GUERRES (241-218)

Dieu de Carthage

Chacun des protagonistes va tenter de retrouver ses forces. La situation financière, difficile pour Rome, l'est plus encore à Carthage, qui, ne payant pas ses mercenaires, dut faire face à une coalition entre mercenaires libyens et numides. Elle en vint à bout grâce à l'aide de Rome et de Hiéron. Mais Rome, pour prix de son aide, se fit céder la Sardaigne et probablement la Corse, ce qui lui attira la haine violente de Carthage. Celle-ci, délaissant le parti conservateur et pacifiste des Hannons, se tourne alors vers le parti de la revanche, incarné par la famille des Barcides (du nom d'Hamilcar Barca). Cette dernière avait constitué un véritable empire ibéro-punique à partir des comptoirs installés sur les côtes espagnoles, avec pour capitale Carthagène.

Mais les Marseillais, alliés de Rome, craignaient pour les quelques colonies qu'ils avaient gardés en Espagne. Ils attirèrent l'attention de Rome sur les risques que représenterait une coalition entre Carthaginois et Gaulois. L'affaire de Sagonte va déclencher la deuxième guerre punique.

Hannibal.jpg SECONDE GUERRE PUNIQUE (211-201)

Motif du conflit. Voir aussi l'article tiré de Historama sur les origines de la 2ème Guerre Punique

En assiégeant Sagonte, ville de la côte orientale de l'Espagne, en 219, Hannibal enfreignait le traité de 226 qui interdisait aux Puniques de franchir le fleuve Ebre. Au printemps 218, Hannibal se met en route vers l'Italie, à la tête d'une armée de 80.000 hommes (Ibères, Africains, cavaliers numides), commençant ainsi cette seconde guerre punique, qui apparaît avant tout comme le duel de Rome et d'un homme : Hannibal.

Effectifs en présence.
- Au plan démographique, la population libre des deux empires est estimée entre 3,5 à 4 milions d'habitants.
- Au plan militaire, la supériorité de Rome est écrasante :
Quand Hannibal dispose de 80.000 hommes, Rome fait une levée de 220.000 hommes, pouvant aller jusqu'à 400.000.
Le système militaire punique est toujours aussi peu sûr, et la voie de terre choisie augmente les difficultés d'acheminement des renforts.
Enfin, l'infériorité navale de Carthage est désastreuse, : une cinquantaine de quinquérèmes contre 220 pour Rome.
Dans ce cas, l'entreprise d'Hannibal ne peut miser que sur deux atouts : l'effet de surprise et l'espoir d'une dissolution de l'unité italienne à son profit.

Les grandes phases de la guerre.

1 - La victoire de Carthage (218-212)

Au début, l'effet Eléphant d'Hannibal de surprise est complet!

Cinq mois pour se retrouver en Italie, après avoir franchi le col du Petit Saint Bernard avec ses éléphants! Avec des effectifs réduits de moitié, Hannibal vole de victoire en victoire.
- Scipion, rentré des Gaules, est battu sur le Tessin en 218. son collègue, Tibérius Sempronius, subit le même sort un mois après, sur les bords de la Trébie.
- Terribles défaites des Romains au bord du lac Trasimène (217), où 15.000 Romains périrent, et près de Cannes (216), où, sur 80.000 Romains 45.000 furent tués, dont le consul, L. Aemilius Paullus, et 20.000 faits prisonniers.
- Défections chez certains alliés méridionaux, dont la ville de Capoue, qui se rallie à Hannibal en 216, puis Tarente et Syracuse, après la mort du fidèle Hiéron II.

MasqueNéanmoins, Hannibal, se sachant non équipé pour une guerre de siège, ne marcha pas sur Rome, mais conduisit son armée à Capoue pour y établir ses quartiers d'hiver et attendre les événements...
Rôle temporisateur de Fabius Cunctator, harcèlement des Puniques, blocage des renforts par le contrôle de la voie de terre entre l'Espagne et l'Italie, maîtrise de la mer : Hannibal ne peut mettre la main sur aucun port.

2 - La victoire de Rome
Dès 212, Rome reprend l'initiative :
- reprise de Syracuse (211, et mort d'Archimède).
- reprise de Capoue (210, punition exemplaire)
- reprise de Tarente en 209.
- prise de Carthagène en 209 par le jeune P. Cornelius Scipion, fils du vaincu du Tessin.
- l'armée de secours commandée par Hasdrubal, frère d'Hannibal, ne peut faire la jonction avec les forces de ce dernier, car elle est anéantie sur les bord du Métaure (207).
- isolement total d'Hannibal dans le sud de la péninsule.

3 - Le débarquement en Afrique (204)
Sous la conduite du jeune Scipion, élu consul pour 205, et proprogé dans son imperium pour 204, le débarquement a lieu en 204 près d'Utique. Hannibal est rappelé précipitamment par sa mère-patrie, livre la bataille décisive à Zama en 202. Carthage est vaincue.

Les conséquences de la défaite.

  • Pour Carthage :
    C'est la déchéance complète. Elle doit livrer ses éléphants de guerre et sa flotte, céder ses possessions espagnoles, payer un lourd tribut à Rome. Elle perd le droit de faire la guerre sans l'autorisation de Rome. Elle a un rival en Afrique même, le prince Massinissa. Le traité de 201 marque la fin de Carthage comme grande puissance méditerranéenne. Désormais réduite au rang de cité vassale de Rome, Carthage n'est plus qu'une riche ville commerçante.

  • Pour Rome :
    Elle devient la maîtresse du Bassin Occidental de la Méditerranée. L'issue de cette seconde guerre punique, l'épreuve la plus dure peut-être que Rome ait jamais traversée, marque le moment décisif pour la formation de l'impérialisme romain.

  • Pour Hannibal :
    Traqué par les Romains, il se réfugie d'abord chez Antiochus, roi de Syrie, qu'il conseille dans sa lutte contre Rome. Mais Antiochus, vaincu par les Romains, doit leur livrer Hannibal, qui réussit à s'enfuir en Bithynie. Poursuivi par la haine de Rome, il finit par se donner la mort en 183.

TROISIEME GUERRE PUNIQUE (150-146)

Motif de la guerre

En 150, Carthage, lasse des exactions de Massinissa qui, fort du soutien de Rome, empiète sans cesse sur son modeste territoire, déclare la guerre au prince numide, en violation du traité de 201.

Rome saisit d'autant plus facilement le prétexte pour déclancher la troisième guerre punique, que la prospérité économique de Carthage, après un demi-siècle de travail acharné, l'irritait et l'inquiétait. Caton l'avait constaté au cours d'un voyage en Afrique, et on connaît le leit-motiv avec lequel il revint à Rome : Carthago delenda est , Il faut détruire Carthage!

Les légions romaines débarquèrent à Utique et Rome se montra intraitable. En dépit de la bonne volonté des Carthaginois, qui multipliaient les ambassades et proclamaient leur bonne foi, les exigences des Romains furent impitoyables :

Carthage

les Carthaginois doivent évacuer la ville, qui est promise à la destruction et se retirer au moins à 80 stades (=14,160 km) de la mer.

Un pareil arrêt, signifié à un peuple de commerçants et de marins, équivalait à un arrêt de mort. Carthage n'avait plus qu'à organiser sa résistance. C'est le consul Scipion Emilien, petit-fils de l'Africain, qui réussit, en 146, à s'emparer des ports puis de la ville, après des combats de rue désespérés. Carthage brûla pendant dix-sept jours.

On fit raser la ville et mêler du sel à la terre afin de la rendre infertile à jamais!

LA RENAISSANCE DE CARTHAGE

Malgré ces guerres et cette "haine" de Rome envers Carthage, Carthage renait de ses cendres quelques années plus tard sous la forme d'une colonie romaine.


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